Le Time-To-Market (T2M) répond à des objectifs de vente datés, donc plus généralement financiers et avec des conséquences majeures de trésorerie et de rentabilité. La pression sur les opérationnels devient dans ces conditions très forte, et cette pression est génératrice de risques. En effet, une tendance classique pour atteindre le T2M d’un produit est de raccourcir arbitrairement des délais et/ou de réduire des objectifs qualité. Le T2M est donc très souvent opposé aux objectifs du QCDP (*) du produit. Le Risk Management (RM) s’avère alors un outil efficace pour limiter les risques de non atteinte du QCDP.
Avec l’accélération des technologies et la mondialisation, les facteurs risques du T2M sont amplifiés. De plus, la volonté du positionnement d’un nouveau produit sur ses marchés fait souvent l’objet d’annonces anticipées pour mieux lutter contre la concurrence. La pression sur les délais augmente d’autant et les échecs deviennent trop fréquents.
Prenons pour exemple ce produit complexe et bien connu de tous qu’est la voiture. Si Elon Musk a tenu son délai de mise en production en juillet dernier pour la nouvelle Tesla 3, il est en échec flagrant sur la capacité effective de production : 260 par jour au lieu des 1.500 annoncés. Avec pour conséquence immédiate une chute de 2% du cours de bourse. Prises de risques avec des impasses très probables sur l’industrialisation ? ... car toute l’industrie automobile s’est lancée dans les voitures propres et Tesla pourrait bientôt ne plus être le leader de son marché.
Sans être exhaustif, rappelons 3 des contraintes majeures du secteur automobile :
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savoir se positionner sur le marché,
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innover sans interruption,
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respecter les réglementations,
car, faut-il le rappeler, le marché automobile est structurellement très concurrentiel avec des évolutions technologiques majeures permanentes.
Considérant que la durée d’un projet véhicule est de l’ordre de quelques années, le T2M est alors un instrument fondamental utilisé par le management pour gagner des parts de marché, voire tout simplement les conserver (… et pouvoir survivre !).
Savoir se positionner sur un marché implique d’avoir analysé les produits de la concurrence. Or un projet véhicule peut devoir être lancé sans pour autant que les produits concurrents soient déjà en vente, donc avec une prise de risque nécessaire sur ce que vont être leurs caractéristiques. Le principal risque est alors un décalage du positionnement visé, avec pour conséquences soit une moindre volumétrie des ventes, soit des surcoûts et/ou retards pour repositionner le véhicule.
L’électrification des véhicules est l’innovation montante. De nouvelles contraintes naissent de facto, créant de nouveaux risques pour ces projets en termes de délais et de coûts, et donc de respect du T2M demandé par le marketing et le commerce. En effet, les constructeurs peuvent très difficilement concevoir de nouveaux véhicules électriques dans un objectif T2M « court » (i.e. 2 à 3 ans), ils passent par une phase de transition qui consiste en l’adaptation de leurs plateformes existantes.
En exemple, le cas des batteries : l’ajout de batteries de plusieurs centaines de kilos augmentent la masse, or il faut avoir une autonomie « suffisante », mais augmenter le poids réduit aussi l’autonomie …,et, augmente l’inertie du véhicule, donc réduit aussi la sécurité en cas de choc, … Il y a un travail d’ingénierie significatif pour trouver des solutions intelligentes, et bien entendu, dans le respect d’un objectif économique impératif. La contradiction de toutes ces contraintes sécuritaires, économiques et de performances créent des risques sur le QCDP que le T2M affiché vient aggraver.
Respecter les réglementations implique de les anticiper plusieurs années à l’avance. Si les anticiper est relativement aisé en Europe du fait des annonces préventives des autorités compétentes, cela s’avère délicat dans certains pays.
Nous connaissons déjà bien le protectionnisme américain armé de réglementations arbitraires ad hoc. Mais c’est la Chine qu’il faut regarder aujourd’hui car c’est le marché le plus prometteur. Les constructeurs doivent s’y positionner et proposer à court/moyen termes des véhicules propres suivant des quotas … susceptibles d’évolutions rapides importantes ! De plus, la réglementation chinoise n’est pas toujours très anticipable, avec des durcissements potentiels, la Chine voulant à la fois importer de la technologie et développer ses propres marques. L’engagement du T2M induit des risques en termes de complexités technologiques, juridiques, organisationnelles, … dans la conception, l’ingénierie et l’industrialisation des véhicules. Du point de vue juridique, les constructeurs vont devoir travailler en « Joint Venture » avec les constructeurs locaux, s’adapter à la réglementation locale (mouvante …), utiliser les moyens locaux qui sont hors de leurs standards, … autant d’incertitudes qui génèrent des risques de retards et de surcoûts pour la cible T2M.
La mise en place d’un T2M implique la recherche d’opportunités. Dans l’industrie automobile, une question d’opportunité classique répondant bien au T2M est le « make or buy ». Le choix « Buy » permet de spécialiser et d’optimiser, alors que le choix « Make » présente les avantages simultanés de réduire les délais et de réduire les coûts (réduction des travaux d’ingénierie, industrialisation déjà existante des systèmes visés). Mais le « Make » induit des risques comme de ne pas trouver les solutions industrielles dans les délais requis, et, le « Buy » induit aussi des risques de ne pas pouvoir positionner le véhicule comme voulu. Les conséquences de ces risques sont aggravées par le T2M qui impose de trouver les solutions au QCDP dans un temps (trop) court. Par ailleurs, il faut rappeler que l’opportunité d’un « Buy » peut générer un risque en cas de défaillance du fournisseur … le constructeur ayant laissée la main sur une partie de la mise en place solution. La capacité de respect du T2M doit aussi être évaluée chez les fournisseurs, i.e. mener une analyse des risques sur le périmètre confié.
Le schéma suivant illustre la dualité de l’analyse des risques et des opportunités, avec par exemple la recherche de décision pour le Make or Buy :
Les plans d’actions sont bien entendu toujours à quantifier en impacts QCDP, tant positifs que négatifs, pour en évaluer la pertinence d’application.
A noter qu’une solution montante dans l’industrie pour assumer un T2M agressif tout en limitant les risques induits est la mise en place d’une approche Agile. Pour témoignage, l’expérience Sprint chez Airbus avec la mise au point de démonstrateurs en exactement 100 jours au sein de Protospaces. La méthode Agile permet de progresser rapidement, de façon certaine, tout donnant une visibilité sur la trajectoire, donc en limitant les risques inhérents au T2M, pour autant qu’elle soit bien gérée et cadrée.
Une règle d’or de la réussite d’un T2M est l’anticipation.
Or l’anticipation est également une règle d’or du Risk Management.
Il y a là une belle cohérence d’approche. Le management des risques conduit à analyser l’ensemble des événements, conjonctures, technologies, organisations, … i.e. toutes les visions nécessaires à la réussite du T2M d’un nouveau produit. Le RM confirme là encore être un outil pertinent pour maximiser les chances de réussite des objectifs QCDP d’un projet industriel, surtout avec un T2M agressif.
Denis Zandvliet
Associé VALUE 360
(*) QCDP : Qualité, Coûts, Délais, et Poids ou Performances suivant les industries
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