Dans un projet, on a plutôt tendance à vouloir imposer au chef de projet – à tort ou à raison d’ailleurs - des objectifs de délais particulièrement ambitieux. Le chef de projet sous pression se trouve alors en situation de devoir courir après le temps.
Plutôt que subir cet état de fait comme une fatalité, je propose, dans ce post, de réfléchir, à travers des exemples vécus, comment on peut « jouer avec les contraintes de temps », ou encore, comment on peut s’en servir : tout chef de projet se doit en effet d’être à l’affut de solutions de management stratégique des délais qui lui permettent d’optimiser les délais sur son projet.
Remarque préliminaire : il est bien connu des chefs de projets que ce qui fait le délai global d’un projet, c’est moins la durée des activités que les contraintes. C’est donc sur les contraintes qu’il leur faut porter toute leur attention.
Voici quelques expériences vécues sur les projets auxquels j’ai participé ou que j’ai noté lors d’échanges avec les chefs de projets que j’ai pu croiser et que je propose de partager avec vous.
La première d’entre elles : les démarches agiles utilisent la technique du time boxing (le temps d’un Sprint dans la méthode SCRUM) :
Cette technique particulièrement utilisée dans le développement informatique consiste à définir des périodes de productions contraintes par des échéances fixées au préalable ; le respect des délais est impératif et le chef de projet est ainsi amené à se concentrer sur un nombre restreint d’objectifs et s’ajuste au niveau du paramètre technique et des livrables à fournir en priorisant les fonctions à livrer et en se focalisant sur les fonctions prioritaires.
Mais il y a bien d’autres façons de faire ; en voici quelques-unes :
Limiter les contraintes de l’environnement sur son projet :
Les contraintes externes sont celles sur lesquelles on a le moins de prise. Le premier réflexe est donc d’essayer de s’en accommoder. Chez un de mes clients algériens opérant dans le secteur de l’énergie, j’avais noté que des délais invraisemblables étaient requis pour l’intégration de nouveaux équipements dans le réseau. Ceci nécessitait d’interrompre l’exploitation pour des périodes pouvant aller jusqu’à 2 mois ce qui repoussait de façon importante les périodes ou cette opération était possible. Une rapide analyse a permis de revoir le contexte de l’intégration et de réduire la durée de l’opération de 2 mois… à 3 jours. Il est devenu ainsi beaucoup plus aisé de trouver des créneaux pour réaliser cette opération.
Utiliser les compétences rares à bon escient :
Une des difficultés fréquemment rencontrée est la disponibilité de certaines ressources et plus particulièrement des experts. Chez un autre client algérien, qui faisait régulièrement appel à des experts européens, nous avons travaillé sur la meilleure façon de limiter l’appel aux experts au strict nécessaire et sur la préparation de leur intervention. Pour éviter de se trouver à nouveau contraint à l’avenir, nous avons profité de leur venue pour faire de l’apprentissage au sein des équipes client.
Apprendre à utiliser les temps masqués :
Pendant mes activités à Arianespace, il était fréquent à l’occasion des campagnes de lancement, de profiter du décalage horaire entre la métropole et la Guyane pour demander àdes équipes restées sur Evry de prendre en charge certaines activités, pendant que les équipes en campagne à Kourou profitaient d’une nuit de repos bien méritée.
Identifier tous les travaux qui peuvent s’effectuer en temps masqué est un des vieux trucs de chef de projet pour gagner du temps… en dormant.
Mettre la pression sur les délais… pour éviter la démotivation et le turnover:
Sur un des projets auxquels j’ai participé, le directeur de projet mettait une pression qui me semblait excessive sur les délais, obligeant à mettre sur le pont plus de 200 personnes en étude pendant 6 mois. Je lui avais fait part de mon étonnement et sa réponse avait été la suivante :
- Quand les équipes sont surchargées elles ne pensent pas à chercher du travail ailleurs
- Quand il faudra dissoudre les équipes, on se trouvera tout seul à devoir répondre aux questions du client
Une autre pratique moins glorieuse consistait à retarder la réception (recette) des produits… pour retarder le début de la période de garantie
Jouer avec le temps c’est aussi utiliser les marges habilement. Par exemple, donner plus de temps aux achats leur permet de consulter plus de fournisseurs, de mieux négocier les contrats… ou simplement permettre aux fournisseurs de travailler dans de meilleures conditions… ce qui se monnaye bien sûr.
Avoir un processus de convergence et de prise de décision efficace et rapide :
Il est souvent nécessaire de se donner le temps nécessaire à la maturation du projet (analyser plusieurs options), mais aussi à sa réalisation (éviter les remises en cause de dernière minute. Un des savoirs faire des chefs de projets en la matière consiste à savoir optimiser le processus de définition du produit pour pouvoir figer le projet rapidement.
La gestion des délais va souvent de pair avec la prise de risque. Voici quelques exemples :
Utiliser les temps interphases
Sur un gros projet sur lequel j’ai travaillé au Moyen Orient, l’enclenchement des contrats entre les phases successives du projet était parfois long et posait le problème de l’occupation (et du maintien) des équipes.
Une pratique régulière de la Direction de Projet consistait à livrer les dossiers coute que coute, avec souvent comme corollaire, des problèmes de qualité. Les temps interphases étaient ensuite mis à profit pour réduire les problèmes de qualité qui n’avaient pas pu être correctement traités.
Déporter les reprises sur site
Dans la même veine, la réalisation de modifications secondaires directement sur site est une pratique courante qui permet de ne pas bloquer les livraisons.
De même, déplacer le Bureau d’Etudes sur le chantier permet d’accélérer les modifications apparues tardivement.
Autre exemple à méditer : se préserver du temps pour soi-même
Comme souvent lors de mes formations il m’est arrivé de poser la question aux participants, tous chefs de projets, s’ils se sentaient en surcharge. Pratiquement tous m’ont répondu être en effet fortement occupés. Seuls 2 chefs de projets d’un célèbre fabriquant de verres de lunettes m’ont dit ne pas être en surcharge et avoir même du temps libre. A la surprise des autres participants ils ont répondu : « comment voulez-vous être capable de répondre à un besoin urgent de votre équipe ou encore de prendre en charge un nouveau projet si de base vous êtes surchargé ». A méditer…
Autant de réflexions, de principes de management stratégique des délais pour bien jouer avec les contraintes de temps. Sans vouloir nécessairement promouvoir l’une ou l’autre de ces approches je trouve intéressant de réfléchir comment on peut, à son niveau, jouer avec le temps.
Mon leitmotiv : être créatif sur le plan organisationnel.
Si, malgré toutes ces techniques, ces « trucs et astuces » de management des délais, les échéanciers qui vous sont imposés sont toujours irréalistes et mettent en danger le résultat du projet, n’hésitez pas à tirer la sonnette d’alarme plutôt que de constater trop tardivement que cela ne pouvait pas passer.
Je développerai dans un prochain post l’importance des choix techniques et des choix organisationnels.
Toujours curieux de l’expérience des autres, je reste à l’écoute des pratiques que vous avez vous-même mises en œuvre ou observées qui permettent de « jouer avec les contraintes temps » .
Phrases clés : project time management, gestion des délais, project deadline, time estimation methods in project management.
Jean ELLEGOET
Spécialiste en organisation par projets il a animé une équipe de planificateurs à Arianespace puis a travaillé à l’introduction du Management par Projet dans de nombreuses industries. Il a notamment mis en place un Système de Gestion d’Affaire à l’Aérospatiale Les Mureaux pour suivre aussi bien les programmes militaires que civils. Depuis 1993 il dirige le Cabinet OPTEAM dans lequel il a réuni plusieurs spécialistes français, allemands, anglais, américains et roumains du Management de Projet.
Il assure également de nombreuses missions de conseil et de formation pour des entreprises de renommée internationale. Il est le concepteur de formations au Management de Projet (Pilotage de projet, Outils de gestion de projet – MS PROJECT, développement de Nouveaux Produits, utilisation des NTIC sur les projets...), et a introduit en France le concept d’Ateliers d’Expérience Condensée, l’apprentissage par l’expérience.