Malgré la jeunesse du sujet, de plus en plus d’entreprises s’intéressent au Big Data. Des prototypes et des pilotes très variés (parfois très innovants sur le papier) sont régulièrement annoncés. D’ailleurs il n’y a pas un jour sans qu’un article de presse n’évoque telle ou telle expérimentation.

Mais quand on s’y intéresse d’un peu plus près et que l’on interroge les entreprises, on se rend compte que la majorité des projets Big Data sont bien moins avancés qu’on ne le croit. La plupart sont en phase d’expérimentation, très peu passent en phase d’exploitation. La faute au manque de maturité des technologies ? Des équipes ? Des données ?

Fort de notre expertise en gestion de projet (notamment complexes), nous nous sommes intéressés au sujet. Voici quelques pistes de réponses données par Monsieur MICHEL DEBEUSSCHER spécialiste de projets Big Data.

Les entreprises exploitent la donnée depuis de nombreuses années avec la Business Intelligence (BI). Quelle est la nouveauté apportée par le Big Data, outre le Digital et les 3V (Volume, Variété et Vitesse des données) ?

Ce que l’arrivée du Big Data change est avant tout organisationnel. En effet la manipulation et l’analyse de la donnée (« Transform » en anglais) peut désormais se faire au niveau des Métiers alors que historiquement c’était plutôt du ressort de la DSI et de la BI (bien souvent associés).

On passe ainsi d’une démarche ETL (Extract Tranform Load) à une démarche ELT (Extract Load Transform). La DSI extrait la donnée des multiples sources (données internes et données externes à l’entreprise) et la « déverse » dans un lac de données (DataLake). En parallèle elle s’assure de la gouvernance de donnée et de la sécurité. Liberté est ensuite donnée aux Métiers pour « fouiller » dans le lac de données afin, de créer de la valeur ajoutée.

Pourquoi cette évolution ?

• avec la donnée issue du Big Data la valeur ajoutée est avant tout créée par les Métiers, car ce sont eux qui connaissent bien les processus industriels (dans le cas de la maintenance prédictive par exemple) ou les clients et leurs comportements (dans le cas du marketing).Il est donc fondamental que les Métiers s’impliquent directement dans la « fouille » des données. Le pragmatisme veut donc qu’ils intègrent de nouvelles compétences (la fouille de données, la data visualisation) dans leurs équipes. Ce qui est « révolutionnaire ».
• d’autre part, l’apparition d’une multitude de nouvelles données issues du digital mais aussi des capteurs présents sur le terrain et dans les objets (IoT), pousse à cette évolution.

Quel est intérêt pour l’entreprise ?

Comme je viens de le dire, l’intérêt premier est de donner aux Métiers la possibilité de créer de la valeur ajoutée à partir des données et des problématiques qu’elles connaissent bien : maintenance prédictive, optimisation des déplacements, analyse du comportement des clients, …

Un autre intérêt est d’ordre managérial. Avec le Big Data le management évolue : il devient beaucoup plus collaboratif, plus participatif. Ce qui est dans l’air du temps et correspond bien aux nouvelles générations. Mais c’est un véritable changement de paradigme managérial, pas toujours facile à mettre en œuvre.

Justement, quelles sont les grandes problématiques qui surgissent lors de la mise en place d’un projet Big Data ?

• l’absence de « prise de hauteur » en amont du projet et au sein des équipes. Ce qui a pour effet que personne ne pilote vraiment le projet. Il y a bien un chef de projet et un architecte du projet, mais finalement il n’y pas vraiment de pilote. L’équipe navigue à vue, au gré des objectifs intermédiaires qu’elle se fixe ou non.
• l’absence de réel sponsor dans le top management, ou sa faible implication dans la vie du projet.
• l’absence d’objectifs bien définis. L’entreprise veut innover et met en place des outils et infrastructures Big Data, mais elle délègue la recherche des objectifs intermédiaires et finaux à l’équipe Big Data car elle pense que c’est en forgeant qu’on devient forgeron…
• la difficulté à faire travailler ensemble des hommes et des femmes (chef de projet, architecte du projet, informaticien, statisticien, Métiers) qui ont une culture et des méthodes de travail très différentes (généralement le mot « Agile » est évoqué mais cela n’a pas de sens car l’agilité n’est pas pilotée).
• la difficulté à mesurer le retour sur investissement, ce qui est d’autant plus vrai si l’entreprise n’a pas fixée d’objectifs clairs à son équipe Big Data.

Pouvez-vous nous parler de vos interventions ?

• donner du sens, de la hauteur de vue aux équipes (pourquoi ? qui ? comment ?),
• identifier les risques (et ils sont multiples) inhérents à la mise en place d’un projet Big Data
• accompagner les équipes dans leur montée en compétences (travailler ensemble en mode Agile, parler le même langage, avoir des objectifs communs…).

Auriez-vous un exemple de mission à nous donner ?

• Un groupe industriel a mis en place une PaaS (Plateforme as a Service) dédiée au Big Data. Les données sont centralisées dans différents silos (DataWarehouse) et lacs de données (DataLake). Les métiers des différentes filiales du groupe peuvent accéder à la PaaS après un processus de formation adhoc. Nous sommes intervenus pour donner du sens à l’équipe projet. Les personnes qui travaillaient sur ce projet n’avaient pas de vue d’ensemble, elles étaient pour la plupart issues de l’informatique et avaient du mal à comprendre les effets possibles des décisions qu’elles prenaient (toute décision est un renoncement) et les besoins de leurs clients internes (les Métiers).
• La formation au Management Agile (Scrum) d’une équipe composée d’un chef de projet, d’un expert métier, d’un informaticien (plus à l’aise dans le code informatique que dans les rapports humains) et d’un statisticien.

MICHEL DEBEUSSCHER