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Comment manager les risques dans les projets pharmaceutiques ?

Schema Stokes
Avec l’interview de Ian Stokes aujourd’hui à propos des risques dans les projets pharmaceutiques, nous continuons notre série d’articles sur le management des risques. Monsieur Stokes, expert dans le management de projets, a accepté de répondre à nos questions.
 

1. Quels genres de risques inconnus ou imprévisibles pouvez-vous envisager dans la gestion de projets des sociétés pharmaceutiques ?

La seule chose dont nous pouvons être sûrs dans un projet, c'est qu'il y aura des surprises. C'est une certitude mathématique. Lorsque vous ne pouvez même pas imaginer tout ce qui pourrait aller mal, c'est comme la loi des coïncidences, il serait presque impossible que quelque chose ne se produise pas. La plupart des surprises se produiront au premier contact avec le patient, en tant qu'individu. Chez les patients, si quelque chose « peut » aller mal, ça ira forcément mal. Par exemple, de nombreux médicaments ont des noms assez similaires : ils risquent d’être confondus. Les patients vont mal interpréter la notice d’utilisation, mal comprendre le formulaire de consentement lorsqu’ils s’engagent pour des tests cliniques; et les chercheurs ne comprendront pas le protocole ou n'auront pas le temps de remplir le formulaire de rapport de cas, et les volontaires risquent de tomber malade. Oui, incroyablement, nous ignorons même l'évidence. Nous pouvons avoir une industrie qui emploie de nombreux statisticiens brillants, mais nous sommes toujours vulnérables à de nombreuses formes de biais cognitif. En voici quelques-uns que j'ai pu observé dans les sociétés pharmaceutiques : biais de confirmation, erreur de base (ignorer le contexte), illusion de regroupement, biais rétrospectif, biais d'attention, effet d'ancrage, effet de cadrage, corrélation illusoire et aversion de perte.

Le but de l'analyse des risques est essentiellement de convertir les « inconnus-inconnus » en « inconnus-connus » par un processus structuré d'identification et d'articulation des risques, la qualification et la quantification des risques, la définition et la gestion des actions. Le processus d'analyse des risques commence par la planification de la gestion des risques. Lors de cette planification, il faut déterminer comment les opportunités seront gérées ainsi que les menaces ; sans cela, vous ne serez jamais aussi performant que prévu. Rappelez-vous également de rechercher des « inconnus ». Cela semble assez étrange, mais tout simplement, c'est l'information que d'autres connaissent, peut-être sur un projet, un service, une entreprise, un concurrent, un pays, ou entre des patients et des praticiens différents.

 

2. Quel risque considérez-vous principalement comme étant sous-estimé ? Pourquoi ? Pourriez-vous nous donner quelques exemples ?

En général, en tant qu'êtres humains, nous sommes démunis face à l’évaluation des probabilités et sommes facilement enclins à mal calculer les effets cumulatifs et les interdépendances. Par exemple, dans le cas d'une affection médicale, il existe des causes et des interactions fréquemment mal comprises. Pour prendre un autre exemple, en communiquant, les gens s'influencent de manière complexe. Le résultat final de la communication est la compréhension. Les gens confondent souvent la communication avec la réception d'informations brutes. Une brochure médicale, un formulaire de consentement clair, et même une brochure d'un chercheur sont incompréhensibles, sauf si cela est écrit avec des termes que les lecteurs peuvent comprendre, et vérifier qu'ils ont compris. Tout ceci est énoncé dans les règlements, mais trop souvent, nous faisons le minimum pour économiser quelques euros, et cela finit par coûter des millions…

Si les patients mettent fin à l’essai en raison d'un malentendu, cela peut l’invalider. Il existe des erreurs courantes qui peuvent être évitées. Jusqu'à 50% des essais de médicaments échouent dans la phase III, parce que le médicament ne peut pas être prouvé comme étant efficace, et ce pour deux raisons principales : un nouveau mécanisme d'action, c'est-à-dire une nouvelle voie biologique et une définition subjective du point final (opinion du patient). L'objectif d'efficacité est un objectif de la phase II. La solution

consiste à effectuer une gestion des risques de manière à permettre une classification appropriée des risques à la phase II, en profitant d'une expérience plus opérationnelle et d'une prise de décision plus complète.
 

3. Quelles techniques pourriez-vous recommander pour gérer ces risques ?

Lors de l'évaluation des taux de recrutement des patients, il existe des paramètres sur une période donnée. Ceux-ci peuvent être ajustés en fonction de la zone thérapeutique, de la nature du syndrome, du nombre de sites et des chercheurs, et d'autres critères de comportements. Les entreprises devraient gérer leur propre expérience et leurs statistiques, les recycler et les ajuster pour les essais futurs. Chaque estimation de la gamme – dans le meilleur des cas, le plus probable, le pire des cas – est associée à une courbe de probabilité standard, et la simulation peut révéler des résultats possibles. Cette méthode appelée « Monte Carlo » fonctionne particulièrement bien avec une approche de planification de projet.

Les arbres de décision sont utiles pour évaluer les options multiples qui dépendent des événements et des informations. Ils permettent de prendre des décisions concernant les choix à faire, et d'investir ou non dans l'information afin de réduire les incertitudes. La valeur monétaire attendue est la conséquence de la multiplication des résultats souhaités par les probabilités possibles pour obtenir une exposition au risque attendu. Ce ne devrait pas être le seul critère pour déterminer la contingence, mais cela peut aider à prendre des décisions concernant les éventualités et les risques.

La matrice Haddon est une technique qui pourrait être utilisée plus souvent, car elle nous rappelle d'évaluer ce qui pourrait se produire en cas d'accident ou de crise; avant, pendant et après. Il examine les aspects personnels, les attributs de l'agent ou du matériel et les facteurs environnementaux. Ainsi, ce qui est souvent négligé, c’est la prévention, la réaction et la correction, abordés avec plus de prescience.
 

4. Comment les risques doivent-ils être gérés en pratique dans les projets de développement de médicaments ?

L'analyse des risques est très gourmande en données et informations : convertir les « inconnus-inconnus » en « connus-inconnus » (incertitudes sur les risques) et « inconnus-connus » (ignorance des problèmes). Des questions devraient être posées afin de comprendre les racines du problème. Il est facile de dire que le projet pourrait être en retard parce que nous ne disposons pas de suffisamment de ressources. Cependant, en continuant à se poser les bonnes questions (« pourquoi ? »), nous allons pouvoir mettre en lumière quelque chose qui peut être finalement géré. Les risques devraient être articulés de manière spécifique. Par exemple, si nous ne parvenons pas à promouvoir l'importance de notre projet pour le comité de direction, les autres projets peuvent être jugés plus importants et nous perdrons nos ressources, rendant ainsi le projet en retard. Si ... alors ...

Une fois que les risques ont été identifiés, articulés et qualifiés, nous pouvons définir des actions à mener. Il existe des actions pour gérer les menaces qui ont lieu avant le début du projet - éviter, atténuer ou transférer - et gérer les opportunités - exploiter, améliorer et partager - et les actions qui se déroulent pendant le projet lorsque l'événement qui cause le risque se produit, ou s'est produit - acceptant la menace ou l'opportunité.

Je préfère le mot « partager » à « transférer », car aucun risque n'est complètement transféré; il existe inévitablement un risque commercial résiduel. Les risques commerciaux sont ceux que nous pouvons gérer mieux que n’importe quel tiers-parti; ils sont les conséquences de nos compétences et de notre avantage concurrentiel. Dans une large mesure, le commerce est un choix des risques que nous maitrisons. Il serait ridicule d'éviter tous les risques dans notre vie et coûteux en terme d'opportunités perdues. Très souvent, un risque peut en cacher un autre, ou provoquer un autre risque. Les risques peuvent augmenter en raison d'un changement de leur probabilité ou impact. Certains risques nécessitent de nombreuses actions, et parfois une action peut répondre à de nombreux risques. Il existe une relation multiple potentielle entre les risques et les actions, et il existe également de nombreux risques interdépendants.

Il est très important de comprendre les signaux ou les déclencheurs qui indiquent que le risque se produit ou qu'il se produira. Certains risques donnent un avertissement préalable clair qu'ils se produiront, alors que d'autres nous frappent de façon inattendue. Les risques difficiles à détecter peuvent être placés sur la liste de surveillance.

Il existe un grand nombre de points communs entre l'analyse des risques et l'analyse des parties prenantes. De nombreuses actions pour limiter les risques concernent la communication. Par conséquent, la compréhension des styles de communication et des modèles de conflit est une excellente possibilité de gestion efficace des risques. Il est recommandé de rassembler les équipes et d'utiliser une sorte de méthode de brainstorming au moins une fois pendant le projet. Le cerveau de l'équipe est généralement supérieur à la somme de ses parties.
 

5. Quel est le rôle des managers de produits dans la gestion des risques des projets pharmaceutiques ?

Les manager de produits devraient encourager l'équipe à se concentrer sur l'image et la vision globale, pour comprendre clairement les priorités. Le but et la justification du projet peuvent créer un sentiment d'excitation et renforcer la motivation. Les manager de produits peuvent permettre à l'équipe de comprendre la stratégie de portefeuille et les décisions à prendre, car « il n'y a pas de solutions, seulement des compromis ».

Un manager de produit visionnaire comprend la science, la technologie, l'environnement réglementaire et le marché des clients, les patients. Il peut expliquer la connexion de bout en bout entre l'inspiration initiale et sa résolution. Ils peuvent également rappeler aux gens que « ce n'est pas ce que vous ne savez pas qui vous met en difficulté, mais ce que vous pensez savoir, ce qui est faux » Les entrepreneurs prennent des risques judicieux et évitent ceux qui n’en valent pas la peine. Les entrepreneurs prospères sont ceux qui mettent fin assez tôt aux projets trop risqués. « Les mauvaises nouvelles qui arrivent tôt sont de bonnes nouvelles », car nous ne pouvons pas gérer les éléments inconnus (les « secrets »).
 

6. Quelles recommandations proposeriez-vous pour limiter le risque budgétaire dans les entreprises pharmaceutiques ?

La gestion budgétaire est déterminée au niveau du portefeuille en utilisant une analyse de celui-ci, dans le but de construire un portefeuille équilibré en terme de risque technologique et scientifique et de risque commercial et réglementaire. Ce n'est pas une bonne idée de ne produire que des blockbusters susceptibles d'échouer, ni des produits génériques incrémentaux qui ne génèrent pas suffisamment de profit. Les projets sont analysés en terme de retour sur investissement, tout en n'oubliant pas que la valeur est encore plus difficile à estimer que le coût, et il existe de nombreux facteurs essentiels qui ne sont pas facilement mesurables.

Les seuils, les déclencheurs et les tolérances d'escalade permettent aux risques d'être signalés assez tôt et au bon niveau organisationnel. La méthode de « valeur monétaire attendue » facilite les décisions concernant les niveaux appropriés de tolérance et d’aversion au risque en terme d'exposition et de profit potentiel.

Le projet devrait être habilité à gérer les menaces et les opportunités qui ont les probabilités les plus élevées avec une « contingence de projet », tandis que l’entreprise gère des risques à fort impact avec une « réserve de management ». Plus le niveau de tolérance au risque est élevé, plus le seuil est élevé en matière d’escalade et de décision. Lorsque des événements indésirables graves se produisent, il est essentiel que le processus décisionnel et la gestion des escalades relèvent le défi. Cela fait partie de la planification de crise, une fois de plus, il repose sur un degré élevé de préparation et de capacité de communication pour les parties prenantes.
 

7. Quel conseil pratique donneriez-vous aux managers des risques dans les entreprises pharmaceutiques ?

Les managers de risques devraient s'assurer que le risque reçoit une attention adéquate et des priorités appropriées. Par exemple, les éléments de risque les plus importants peuvent être abordés en premier dans les réunions de statut de projet. Lors de l'exécution des examens go / no-go gate, le projet peut progresser en toute connaissance de cause, ce qui signifie savoir qui possède et qui gère chaque risque; sinon cela incombe au chef de projet.

Les managers de risques individuels ne doivent pas faire partie du projet, par exemple pour un risque réglementaire ou un risque de sécurité. Cependant, le manager de projet et le manager des risques doivent s'assurer qu'ils sont conscients qu'ils gèrent les mêmes risques. S'il y a des doutes sur la probabilité ou

l'impact d'un risque, il est recommandé de permettre à la personne qui gère le risque de prendre une décision.

Les responsables de la gestion des risques devraient être sensibles aux difficultés d'évaluation des risques. Ils peuvent accroître la prise de conscience des risques en posant des questions précises et en insistant sur les données, les tests, les contrôles, les inspections, l'observation et les preuves scientifiques tangibles.

Les techniques utiles pour développer la conscience jouent le rôle d'avocat du diable, en utilisant des listes de contrôle et en les lisant à haute voix pour augmenter les niveaux de conscience et organiser un pré-mortem pour augmenter la sensibilité aux risques. Le principe de la « désobéissance respectueuse » a autorisé les membres de l'équipe à dire la vérité à sa hiérarchie.

Les managers de risques peuvent encourager la prise de conscience du biais cognitif et décisionnel. Les projets ne se comportent pas comme ils sont censés le faire, et nous avons tendance à être trop optimistes et à sous-estimer le fait que d'autres événements se produiront, qui peuvent nous éloigner des objectifs finaux. C'est ce qu'on appelle la « faillite de planification ». En règle générale, cela signifie que les budgets et les calendriers des projets devraient être multipliés par un facteur de 2,54. Les participants au projet compensent en équilibrant l'erreur de planification en partageant leur vision de l’urgence avec les cadres supérieurs, mais seulement au niveau supérieur, et grâce à leur instinct ils sont capables d’effacer tous les détails. La bonne pratique est d'être ouvert et transparent sur l’urgence, et de savoir la gérer au niveau du projet par des professionnels responsables.

Merci, Monsieur Stokes pour vos reponses très interéssantes.

Pour mettre en pratique ceci et les autres techniques, inscrivez-vous à la formation de Ian Stokes sur le management des risques. Si vous êtes un manager de risques, consultez la page « Risk fournisseur ».

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IAN Stokes

Expert en Management de Projets

Ian est impliqué dans la facilitation et l'amélioration des processus de gestion de projets, le pilotage de projets technologiques et de développement de produits, la gestion du changement, par l’adoption de méthodes agiles qui sont centrées sur le client et le travail transdisciplinaires dans le contexte de projets complexes. Il a une grande expérience internationale et interculturelle. 

 
 
 
 
 
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